Dans un supplément à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert publié en 1776, on trouve cet article décrivant une clarinette à 4 clés :

Encyclopédie-couv-1776

La clarinette est un instrument à anche, inventé, à ce que l’on prétend, au commencement de ce siècle, par un Nurembourgeois. […]

La clarinette, telle qu’elle est aujourd’hui, est composée de quatre pièces ; la tête, deux corps de milieu & le pied. Elle a douze trous latéraux, dont sept pardevant & un parderrière se bouchent avec les doigts, les quatre autres sont bouchés avec des clefs. La tête de la clarinette est faite de buis, comme le reste ; elle se termine par un bec, semblable en dehors à celui d’une flûte clouée ; mais au lieu d’un biseau, ce bec a sur le plan supérieur un trou triangulaire. […] Le bec est percé obliquement de façon que le trou intérieur est exactement de la figure de ce même bec. La fente triangulaire se couvre d’une languette de roseau, qu’on amincit convenablement, & qu’on attache avec du fil ; en sorte que l’embouchure de la clarinette tient beaucoup de ces languettes de laiton qu’on met dans les trompettes de bois des enfants ; aussi la clarinette a-t-elle assez le son d’une trompette.

On tient la clarinette comme la flûte à bec ; on bouche les trous 2, 3, 4, avec les trois doigts de la main gauche ; le pouce bouche le trou 11, & doit gouverner la clé du trou 12 ; outre le trou 2 l’index gouverne encore la clé du trou 1 ; le petit doigt sert pour ouvrir et fermer les clés des trous 9 & 10. Il faut bien prendre garde au double emploi du pouce, de l’index & du petit doigt de la main gauche, quand on compose des pièces pour la clarinette, sans cela on court risque de les faire d’une difficulté insurmontable. Les trois doigts de la main droite bouchent les trous les trous 5, 6, 7, & le petit doigt le trou 8 ; quant au pouce, il sert a tenir l’instrument.

La clarinette, telle que nous venons de la décrire, a trois octaves & deux tons d’étendue, avec la plupart des demi-tons. Voici la tablature.

Tablature de la clarinette dans l'Encyclopédie
Tablature de la clarinette dans l'Encyclopédie Tablature de la clarinette dans l’Encyclopédie

Les cadences ou trils se font sur la clarinette comme sur les autres instrumens à vent, en débouchant le trou supérieur.

Une observation importante qu’il faut faire c’est que la clarinette est d’une tierce mineure plus basse que les autres instrumens ; c’est-à-dire, que son premier Ut en bas est à l’unisson du premier La du violon ; à ce compte, l’étendue de la clarinette est donc effectivement depuis l’Ut# à l’unisson de celui du quatre pieds, ou du premier Ut# du violoncel, jusqu’au Mi triple octave de la tierce mineure de cet Ut, & qui est à l’unisson du Mi qu’on prend en démenchant sur la chanterelle du violon. C’est pourquoi, quand la clarinette est accompagnée d’autres instrumens, on note sa partie une tierce mineure plus haut que celle des autres instrumens : par exemple, si la pièce est en La majeur, on note la partie de la clarinette en Ut ; si la pièce est en Ré, on la note en Fa. Vu la difficulté du doigter, on ne peut composer des parties obligées pour la clarinette qu’en Ut majeur, (ou La relativement aux autres instrumens) ; pour remédier à ce peu de variété, on a imaginé de faire doubler les corps du milieu, où se trouvent les trous 2, 3, 4, 5, 6 & 7. Moyennant ces nouveaux corps, on élève toute la clarinette d’un demi-ton, ensorte que l’on a deux modes de plus, Si bémol & Mi bémol majeurs, dans lesquels on peut composer.

Lorsque l’on veut donc composer une pièce en La majeur pour la clarinette, on la note en Ut majeur, & pour Ré majeur en Fa, & l’on écrit au dessus comme pour les cors, clarinette en Ut, afin que le musicien sache quels corps du milieu il doit prendre. Si l’on veut composer en Si bémol, ou Mi bémol, on écrit la partie de clarinette toujours en Ut pour Si Bémol, & en Fa pour Mi bémol, & on écrit au dessus clarinette en Si bémol.

Quant aux parties de remplissage, où la clarinette n’a que des tenues, ou du moins peu de notes, on peut les faire dans tous les modes ; seulement il faut faire attention au doigter, & à ménager du temps au joueur pour reprendre haleine, car cet instrument en demande beaucoup. On aura toujours égard à ce que la clarinette est d’une tierce mineure plus basse que les autres instrumens, l’on aura soin d’écrire de quels corps les musiciens doivent se servir.

Dans le temps que je faisois cet article, il passa par Berlin un musicien qui jouoit  d’une clarinette à six clés, sur laquelle il exécutoit tous les modes. On a déjà remarqué combien les quatre clés causent de difficulté, ce doit être bien pis avec six.

Autres articles sur l’histoire de la clarinette :

3 réflexions sur “La clarinette dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert

  1. Très intéressant ! Etonnant tout de même que l’auteur de l’article ne considère pas l’ajout de la sixième clé comme un progrès !

    1. Effectivement, à de nombreuses reprises, il y a eu des réticences aux innovations techniques de la facture instrumentale, car cela obligeait les clarinettistes à réapprendre bon nombre de doigtés. Tous n’étaient pas prêts à se remettre en question…

    2. Bonjour,
      Merci pour vos partages nombreux sur votre site.
      Je réponds à au message du 6 mai 2015 signé de Seb.
      J’ai lu le commentaire de l’article sur les six clefs. L’article ne parle pas de progrès, et encore moins de refus du progrès, il parle de difficulté.

      Il semble que l’auteur de l’article ne soit pas clarinettiste, car il fait une supposition. Ce qui montre la prudence de l’auteur ou du rédacteur de l’article.

      Mais surtout, c’est la curiosité de ces Messieurs de l’Encyclopédie qui est à louer ! Ils se tiennent informés des innovations, et ils les relatent. A l’époque où il n’y avait pas internet, c’est une marque important de curiosité que chercher à s’informer sur tous les arts et toutes les sciences pour contrer toutes les croyances dépassées, remettre en cause les croyances médiévales encore très fortes à l’époque, et surtout l’ordre ecclésiastique qui accompagnait ses croyances loin de l’esprit critique que les encyclopédistes souhaitaient insuffler.
      Bonne lecture et bon jeu !
      Marc

Commentez !