Johann Christoph Denner
Johann Christoph Denner (1655-1707) était un facteur d’instruments de Nuremberg, réputé pour la qualité de ses instruments. On lui attribue l’invention de la clarinette, mais aucun document ne permet de le prouver de manière irréfutable. D’ailleurs, au moins deux de ses contemporains, Klenig et Oberlender, fabriquaient eux aussi des clarinettes.
On trouve le nom de « Klarinette » pour la première fois dans les Archives de la ville de Nuremberg en 1710. A cette date en effet, l’orchestre de la ville acheta 4 clarinettes en buis à Jacob Denner, un fils de Johann Christoph Denner. On peut lire dans le Rapport sur les mathématiciens et les artistes de Nuremberg de J. G. Doppelmayr, publié en 1730, que Denner aurait inventé la clarinette quelques années après 1700. D’autres sources, plus tardives et donc probablement moins crédibles, avancent des dates différentes. F. T. Blatt avançait en 1839 que la clarinette avait été inventée en 1701 ; O. Paul datait en 1874 l’invention de la clarinette à 1696 ; C. G. Murr prétendait en 1778 que Denner avait inventé la clarinette en 1690…
La clarinette : un chalumeau amélioré
Ce qui est certain, c’est que les clarinettes ont été inventées sur la base d’améliorations d’anciens chalumeaux. En effet, on fabriquait déjà des chalumeaux en buis, à anches hétéroglottes (c’est-à-dire fabriquées séparément de l’instrument, à la différence des anches idioglottes), fixées sur l’instrument avec de la ficelle.
Les principales améliorations ont été l’ajout d’un pavillon, l’élargissement de la perce (le diamètre intérieur), l’allongement de l’instrument (on peut penser que la clarinette a été construite à partir d’un chalumeau alto ou ténor), et surtout, le déplacement des deux clés déjà présentes sur certains chalumeaux. De diamétralement opposées et très proches de l’embouchure sur le chalumeau, elles s’en éloignent sur la clarinette et sont décalées l’une par rapport à l’autre.
La clef de douzième
C’est cette dernière amélioration qui est d’une importance capitale, puisque l’une des deux clés (appelée clé de 12ème) a permis d’atteindre un deuxième registre situé une 12ème au-dessus du registre fondamental, doublant ainsi l’étendue de l’instrument (deux octaves plus une quinte pour la clarinette à ses débuts contre une 10ème ou une 11ème pour le chalumeau, suivant les modèles). Sur le chalumeau, cette clé servait seulement à atteindre une note supplémentaire dans le registre fondamental, sa position ne permettant pas un passage aisé à la 12ème supérieure. Certains joueurs de chalumeau arrivaient tout de même à émettre quelques notes dans la partie inférieure du deuxième registre, mais elles étaient fausses et relativement difficiles à obtenir.
Ainsi, on dit que la clarinette « quintoie » (c’est-à-dire passe à la 12ème supérieure, une 12ème étant équivalente à une octave plus une quinte), alors que des instruments comme le saxophone, le hautbois, la flûte « octavient ».
Les clarinettes de Denner
Le Musée National de Bavière à Munich conserve en parfait état l’une des clarinettes originales de Denner. Outre les deux clés, on y remarque deux trous jumeaux servant à faire les demi-tons avec l’auriculaire de la main droite. Cette configuration se retrouve sur le chalumeau décrit dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
Les deux clés de la clarinette de Denner sont cependant assez différentes des clés actuelles. En effet, la clé du la était celle du dessous (à l’inverse d’aujourd’hui), tandis que la clé du dessus donnait seule le si bémol. Les deux clés ensemble permettaient d’obtenir le si. Ces trois notes font le lien entre le premier registre (appelé chalumeau, car il correspond effectivement à l’étendue du chalumeau) et le deuxième (appelé clairon, en raison de la ressemblance entre le son de la clarinette dans ce registre et celui du clarino, trompette aigüe de l’époque), obtenu grâce à la clé du dessous, comme de nos jours. De plus, les clarinettistes de l’époque ont rapidement découvert un troisième registre, le suraigu, obtenu en ôtant l’index de la main gauche.
Les registres de la clarinette
En fait, le registre chalumeau est l’étendue fondamentale de la clarinette.
Dans le registre clairon, la clé de 12ème permet d’obtenir les notes basées sur les 2èmes partiels.
En effet, un son musical est une série de plusieurs composantes. Ces composantes sont des harmoniques lorsque leur fréquence est un multiple entier de celle du son de base (fondamental) ; ce sont des partiels lorsque leur fréquence est quelconque. Le timbre est déterminé par le nombre de composantes en présence et leur intensité. Ainsi, la clarinette fait entendre des séries comportant uniquement des composantes proches des harmoniques impaires. Le fait d’appuyer sur la clé de 12ème supprime la fondamentale. Il ne reste donc plus que les composantes à partir du 2ème partiel, proche de la 3ème harmonique.
Dans le suraigu, le fait d’ôter l’index donne les notes basées sur les 3èmes partiels (proches des 5èmes harmoniques). Au delà, d’autres doigtés donnent les notes formées à partir des 4èmes, 5èmes… partiels.
L’emplacement du trou de registre
Rigoureusement, il faudrait que le trou de registre débouché par la clé de 12ème soit placé au tiers de la longueur utile de la clarinette. Pour une note donnée, cette longueur est celle qui sépare le bec du premier trou ouvert. Cela impliquerait que le trou de registre soit déplacé pour chaque doigté, ce qui est impossible à réaliser en pratique. En réalité, le trou de registre a seulement le rôle de défavoriser l’émission du son fondamental. Il favorise par conséquent l’émission des autres partiels, à savoir le 2ème et les suivants.
D’après Henri Bouasse, auteur du livre Instruments à vent, paru en 1930, il suffit alors qu’il se trouve à proximité d’un ventre de vitesse (endroit de la colonne d’air interne de l’instrument où la vitesse est maximale). Dans le cas où le ventre de vitesse se trouve assez éloigné du trou de registre, le 2ème partiel sera probablement moins juste. C’est une des raisons pour lesquelles on trouve sur les clarinettes basses actuelles en particulier un système de double clé de 12ème qui permet d’ouvrir deux trous différents selon la longueur vibrante afin de se rapprocher au mieux de l’emplacement théorique du trou de registre.
L’âme de la clarinette
Sur le plan de la facture instrumentale, le trou de registre n’a pas besoin d’être aussi gros que les autres ; cependant, sa petitesse était un inconvénient : la condensation, en s’y accumulant, pouvait l’obstruer complètement. Denner a remédié à ce problème en y introduisant un petit cylindre métallique (à l’origine en cuivre), appelé âme, qui dépasse à l’intérieur du tube. Cette âme existe toujours sur les clarinettes actuelles : quel clarinettiste n’a jamais coincé son chiffon à cet endroit ?
Autres articles sur l’histoire de la clarinette :
- Les ancêtres de la clarinette (1) : L’Antiquité
- Les ancêtres de la clarinette (2) : Le Moyen-Âge
- Les ancêtres de la clarinette (3) : Le chalumeau baroque
- L’invention de la clarinette
- Les premières années de la clarinette
- L’essor de la clarinette
- Mozart et la clarinette
- La clarinette au XIXème siècle
- L’apparition de la clarinette moderne
- Ecole française, école allemande
- La clarinette, un instrument abouti ?
Sources de cet article : voir la page Bibliographie.